

Les Cafés d’Evidences #2
Lundi 30 juin, Evidences recevait dans l’amphithéâtre de l’Institut Curie à Paris Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et Clément Beaune, Haut-Commissaire à la Stratégie et au Plan.
Le dialogue, animé par Agnès Buzyn, portait sur les défis que la France et l’Europe doivent relever en matière de recherche et d’innovation. Point de départ de la discussion : notre conviction à Evidences, que les citoyens n’ont pas suffisamment accès dans le débat public aux moyens de bien comprendre en quoi la politique de recherche et d’innovation est un moteur de croissance et de bien-être. Favoriser le débat sur cet enjeu, c’est le cœur de notre ambition pour faire de la science la priorité politique qu’elle doit être.
Le sujet regarde directement les contribuables : la dépense de recherche et développement, c’est environ 60 milliards d’euros par an, soit 2,2% du PIB. L’Etat, que ce soit en dépense publique propre ou par son soutien à l’innovation privée, en assume une part importante : la part des administrations dans la dépense de recherche, c’est environ 1% du PIB en France (ce qui est plus élevé que dans les autres pays du G7) si on additionne le soutien au privé (dont le Crédit d’impôts recherche) et la recherche publique.
Est-ce un budget suffisant ? Est-ce un investissement efficient ? Qu’est-ce qui marche vraiment pour garantir l’efficacité du soutien public à la recherche, au service de la croissance et du bien-être ? Les leviers de la politique publique de recherche sont nombreux, de la subvention directe au crédit d’impôts en passant par les partenariats public-privé etc. : comment s’organise la décision aux niveaux national et européen pour choisir la bonne combinaison de ces leviers (« policy mix »), évaluer leur performance, et quelles sont les échéances à venir ?


Une « science-monde »
La discussion s’est d’abord engagée autour de la stratégie « Choose France for science » annoncée à la Sorbonne début mai 2025. Pour Philippe Baptiste, l’engagement du président de la République et de la présidente de la Commission européenne a marqué un temps politique essentiel : une occasion, comme il devrait y en avoir tous les jours, de proclamer notre engagement commun sur la valeur primordiale de la science pour nos sociétés démocratiques. Alors que s’opère, sous les attaques de l’administration Trump, une rupture de confiance globale pour la science-monde dont l’impact s’annonce délétère bien au-delà des Etats-Unis, il était crucial de rappeler ensemble que la liberté scientifique est au cœur de nos démocraties, de même que l’intensité des échanges scientifiques entre tous les pays.
La façon dont l’Europe relève le défi posé par la situation actuelle de la science nord-américaine est lourde d’enjeux, a renchéri Clément Beaune. Certes, le rappel des grands principes, des valeurs et des symboles ne fait pas à soi seul une politique, mais en l’espèce le discours et l’engagement n’ont rien d’anecdotique ou de purement spéculatif. L’une des menaces majeures du moment, c’est la tentation de s’aligner sur les radicalisations populistes : « et si c’était vrai qu’on en fait trop sur la diversité, sur la vérité, sur le droit, sur le pluralisme, sur le climat, sur l’inclusion, sur la science sur la culture… ? » Ces sirènes relativistes et populistes sont dangereuses et il est majeur de réaffirmer sans la moindre ambiguïté que nous défendons la valeur de notre modèle et notre confiance dans l’idée que le droit, la diversité ou la science sont, non pas des contraintes, mais des garanties vitales pour nos sociétés. Toujours revenir aux fondamentaux face aux menaces obscurantistes : c’est aussi la ligne du ministre Philippe Baptiste qui s’attache sans relâche à rappeler que c’est la liberté qui produit la science.


Investir
Liberté scientifique, innovation créatrice : oui mais avec, du côté de l’Etat, quel pilotage stratégique et quel budget public ? Le rôle du gouvernement, rappelle le ministre, n’est pas de contrôler la science mais d’amener les bonnes ressources aux bons endroits pour favoriser l’autonomie des équipes de recherche. Le pilotage stratégique passe naturellement aussi par une capacité de prioriser et focaliser les ressources sur certains enjeux de la science appliquée, mais en partant toujours d’une grande liberté aux échelles les plus fondamentales de la recherche que seule la curiosité guide (« curiosity driven »).
La tension, classique de l’action publique, sur le degré pertinent de pilotage étatique en matière de recherche et d’innovation, se traduit souvent par des enjeux de gouvernance. Celle-ci est-elle trop fragmentée en France aujourd’hui ? Le ministre rappelle qu’une phase d’évolution majeure du paysage universitaire a été accomplie. Clément Beaune souligne en miroir les fondamentaux de la création du SGPI et de la sécurisation de ses crédits. Au-delà des sujets de gouvernance, l’enjeu, pour Philippe Baptiste, serait de faire de la science une réelle priorité politique avec un grand projet de réforme structurelle touchant aussi bien le sujet du financement que celui de la gouvernance des universités et des organismes de recherche : mais les conditions politiques nécessaires pour une telle ambition seront-elles réunies dans les temps à venir ?
La question qui suit, c’est bien évidemment celle de l’effort budgétaire de l’Etat. Au chapitre des ressources publiques, la question des salaires des chercheurs vient en haut de la pile : nettement trop bas, ils grèvent de façon dramatique l’attractivité de la filière. Philippe Baptiste et Clément Beaune s’accordent pour constater un sous-investissement chronique et problématique dans la recherche. La comparaison avec le niveau d’investissement R&I dans d’autres pays rend alarmiste : quand un facteur 5 ou 6 sépare par exemple l’investissement de l’Europe et celui des Etats-Unis dans le secteur spatial, cela a-t-il vraiment un sens de proclamer notre attachement politique pour l’autonomie stratégique ? Les ressources allouées à la recherche, même si elles sont conséquentes, ne parviennent pas aujourd’hui à atténuer en termes d’impact la trajectoire de décrochage qui est la nôtre. Au niveau européen, Clément Beaune indique que des échéances budgétaires cruciales sont attendues en juillet sur les suites du programme Horizon2020. Une négociation qui s’ouvre dans un contexte frustrant pour la France, alors que viennent d’être publiés des résultats ERC très décevants pour les équipes françaises candidates (23 lauréats sur 281).
Quant à l’innovation privée, elle s’avère elle aussi très en-deçà des espoirs. L’innovation industrielle peine à émerger par manque de R&D, laissant la France sous la moyenne OCDE. Le tissu industriel ne s’implique pas suffisamment pour cofinancer la recherche, ce qui aggrave le retard en matière par exemple de consortiums européens, avec des résultats très insuffisants.

« Engagez-vous ! »
Le débat avec la salle s’est ouvert par une question essentielle : celle de l’équité d’accès à l’enseignement supérieur, une valeur démocratique cruciale qui est mise à mal aujourd’hui dans notre pays. L’enjeu est sensible pour Philippe Baptiste : selon lui, il est très grave pour notre démocratie de voir que certains territoires sont aujourd’hui quasiment privés d’offre d’enseignement supérieur. Au-delà, la question de la culture scientifique des professeurs des écoles et des enseignants est aussi en haut de l’agenda au vu des résultats français dans Pisa.
Faire émerger les talents scientifiques de demain, dans des équipes diverses et pluri-disciplinaires, c’est l’enjeu clé si l’on veut répondre aux défis du XXIe siècle. Les promesses du tissu de recherche français sont majeures dans plusieurs domaines comme les sciences du climat, la recherche bio-médicale, l’IA ou l’aéronautique : les opportunités qu’il nous faut saisir pour soutenir la recherche française vont être décisives.
Comment aider à ce que notre pays s’empare de ces opportunités et tienne le rang qui doit être le sien dans la science mondiale ? Nos deux orateurs se rejoignent pour dire qu’il faut parler de science tous les jours en politique, et réciproquement de politique en science. Nul mieux que les chercheurs, ingénieurs et innovateurs ne saura dire avec conviction dans le débat public tout ce que la science amène à la société. La conférence s’est achevée sur un appel vibrant pour que la communauté scientifique se mobilise dans la vie publique et s’engage en politique.
Retrouvez l’intégralité de la conférence :